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| Diwan et la Charte
Le Conseil d'Etat, statuant selon la procédure du référé, a ordonné le 30 octobre dernier, à la demande de plusieurs associations laïques, la suspension du protocole d'accord Signé le 28 mai par le ministre de l'Éducation nationale. Celui-ci prévoyait le passage sous statut public des établissements associatifs Diwan dispensant un enseignement du breton par « immersion », c'est-à-dire dans tous les lieux de l'école, du cours de maths à la cantine. La question de fond sera jugée plus tard, mais dès maintenant la Haute Assemblée a estimé que la suspension se justifiait par un motif sérieux (la relégation du français au statut de deuxième langue, en contradiction avec les dispositions de la Constitution) et en raison de l'urgence (les procédures devant conduire à l'affectation de personnels étant engagés). On a entendu alors, d'origines diverses, des protestations s'élever contre cette décision qui porterait atteinte à la liberté et revenir en force la revendication de ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Les défenseurs de cette dernière et les partisans de Diwan jouent sur une ambiguïté qu'il faut lever d'entrée. Est-il souhaitable de soutenir la connaissance et l'apprentissage des langues régionales en tant quelles appartiennent à notre patrimoine culturel et qu'elles répondent à une demande d'une partie de la nation? La réponse est oui. Est-il souhaitable de ratifier la Charte européenne en tant qu'elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de ces langues à l'intérieur de « territoires » et en reconnaissant un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique » (justice, autorités administratives et services publics) ? La réponse est non. Ces deux questions sont en effet totalement distinctes. Et qu'on ne dise pas que le gouvernement n'aurait accepté de souscrire qu'à 39 des dispositions de la Charte (ce qui suffirait à emporter la ratification), voulant ignorer les autres. La ratification une fois acquise sur ces bases, c'est à l'ensemble de la Charte que la France serait réputée avoir souscrit. Ainsi en a justement décidé le Conseil constitutionnel le 15 juin 1999 après un avis déjà donné dans le même sens par le Conseil d'Etat le 24 septembre 1996. Réaction jacobine (au sens d'un comportement autoritaire du pouvoir central selon les familiers du vocable) ? En aucune façon. Cette décision se borne a rappeler que selon l'article 2 de la Constitution « la langue de la République est le français. » et que la République ne reconnaît pas de droits spécifiques à des groupes, communautés ou minorités plus ou moins directement rattachés à des pays ou des régions. Le choix de la France est de fonder le principe d'égalité des droits sur l'égalité des citoyens et non sur celle de communautés définies par l'un ou l'ensemble des critères suivants : la culture, la langue, la religion, ou l'ethnie. Cela ne signifie pas pour autant que ces critères doivent être ignorés dans l'organisation de la vie en commun de l'ensemble des ressortissants de la nation. Ainsi n'est-il pas réellement contesté qu'en matière de culture, la diversité est richesse et qu'aucune limite ne doit être opposée au développement de toutes les cultures, celles-ci concourant à la pensée universelle. En ce qui concerne la langue, le dépérissement des plus faibles doit être combattu et le Conseil constitutionnel a justement fait remarquer, qu'à l'exception des dispositions anticonstitutionnelles indiquées ci-dessus, la plupart des engagements souscrits par la France « se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France ». Faut-il rappeler que le français a été substitué au latin dans les jugements des tribunaux à partir de l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 ? En matière religieuse, la loi de séparation des Églises et de l'Etat de 1905 a règle la question sur la base de la laïcité. Quant à l'ethnie, c'est un principe constant, qu'aucune discrimination ne saurait être admise sur la base de ce critère qui confine à la discrimination raciale. Nous disposons donc de références juridiques et d'une tradition républicaine qui permet dans la clarté et avec audace un développement culturel sans entrave. Alors pourquoi ce procès trouble et délibérément passionné? Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui, légitimement attachés à leur culture d'origine et à la langue qui peut lui servir de support, veillent à ce que rien ne leur porte atteinte; en l'espèce, ce n'est pas le cas et il leur revient de s'informer correctement. On déplorera que certains, tels Robert Hue, en contradiction complète avec la tradition de lutte pour la laïcité du PCF, pensent « faire moderne » en unissant leur voix à des clameurs plus douteuses. Car on ne saurait admettre, en revanche, que d'autres, poursuivant de tous autres objectifs, profitent de ce débat pour mettre en cause des principes républicains qui fondent notre conception de la démocratie et de la souveraineté au profit de l'idéologie communautariste qui domine actuellement la construction de l'Union européenne, ignorant notamment, voire récusant, le service public, la laïcité et le droit du sol comme fondements de l'égalité des citoyens. « Plutôt cette Europe que la République française », tel pourrait être, en résumé, l'axe de la démarche des communautaristes qui avancent trois types de revendications : disposer d'une autonomie de gestion des affaires propres de la communauté ; établir par-dessus les frontières des relations organiques avec des ressortissants de la même ethnie, concurrençant et, le cas échéant, contestant les États de droit respectifs ; et pour cela faire de la langue le vecteur d'un droit à la différence poussé jusqu'à la différence des droits des communautés. C'est donc une remise en cause complète du pacte républicain et, dans l'esprit des plus farouches, de la République elle-même. C'est cela qui est inadmissible et qui doit être dénoncé, comme l'attribution (ensuite retirée) au collège Diwan du Relecq-Kerhuon, une commune de la banlieue brestoise, du nom de Roparz Hemon, condamné à dix ans d'indignité nationale en 1945 pour collaboration ! Il ne s'agit donc en rien d'une revendication de modernité mais de la résurgence sporadique de ce que ce pays compte de plus réactionnaire et qui profite de toutes les circonstances que lui offre une situation politique décomposée pour enfoncer autant de coins dans l'édifice républicain. Il est navrant que des représentants de la gauche officielle prêtent la main à de telles entreprises. Ils oublient que, s'il est vrai que les langues régionales ont parfois été maltraitées dans le cours d'une histoire qui a vu l'affirmation de la République, c'est cette histoire aussi qui, grâce au français, a dégagé les citoyens des obscurantismes et des fatalismes, fait progresser les libertés publiques et individuelles, favorisé les échanges culturels entre les régions, fait respecter les mêmes règles de droit sur l'ensemble du territoire national, donné toute son ampleur au mouvement pour la démocratie économique et sociale. Diwan est née en 1977 de la carence de l'école publique. Mais on notera toutefois qu'en 2000-2001, en ce qui concerne l'enseignement du breton, si les établissements Diwan l'assurent pour quelque 2 616 élèves (1 726 en primaire, 400 en collège et 490 au lycée), le secteur public et le secteur privé sous contrat l'enseignent à 20 697 élèves. On relèvera enfin que le Conseil Constitutionnel, par une décision du 27 décembre 2001, a accepté la perspective de la titularisation de personnels contractuels des écoles Diwan dans la fonction publique mais sous réserve que ces établissements réunissent eux-mêmes les conditions pour passer sous statut public ce qui, on l'a vu, n'est pas aujourd'hui le cas. Il est facile, afin de provoquer des réflexes conformistes d'assentiment, de s'en prendre aux jacobins, ce qui dispense de toute argumentation sérieuse, Qu'il me soit permis de rappeler à ceux-là, et à ceux qui les suivent sans trop réfléchir, qu'avant de s'installer dans la bibliothèque du couvent dont ils prirent le nom, rue Saint-Honoré à Paris, le 27 octobre 1789, le Club des jacobins avait son siège à Versailles et s'appelait... le Club breton.
* Ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives; membre du Conseil d'Etat. Paru dans Le Figaro du 19-20/01/2002 |
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