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Les élèves de Diwan, instruments de la revanche
Les partisans de Diwan,
fondent leur légitimité sur le fait que le Breton aurait été l’objet d’une
discrimination – vraie ou fausse, ou exagérée, on pourra en reparler –
pratiquée par l’État français depuis des lustres et notamment depuis la
Révolution française puis de la IIIème République. Ce qui nous mène donc sur un terrain
éloigné de la pédagogie. Terrain d’autant plus discutable que ce sont des
enfants qu’on utilise.
Françoise Morvan rapporte l’observation qui suit. [Françoise Morvan, Le monde comme si, Actes Sud. A paraître. Présentation disponible sur le site : http://www.remue.net/revue/TXT0203Morvan.html] Françoise Morvan a vécu de l’intérieur le militantisme linguistique breton et écrit donc en connaissance de cause : « ….combien de fois ai-je vu de parents s’évertuer à baragouiner un breton pénible pour échanger avec leurs enfants, combien ai-je vu d’enfants contraints à une véritable schizophrénie, parlant français chez eux mais breton à l’école, sans savoir pourquoi la charge de sauver une langue qui ne leur servirait jamais à rien leur incombait à eux. Étrange inversion de situation tant dénoncée par les militants, qui amenait des enfants, interdits de parler français comme leurs aïeux avaient été interdits de parler breton, à expier la faute des ancêtres comme un péché originel »
Mais arrêtons-nous sur cette question de la situation du breton.
Cette assertion n’est sans doute pas dénuée de fondement. L’unité de la Nation ne pouvait que se trouver renforcée par la pratique d’une langue commune. En fait la langue française n’était pas neutre, si l’on peut parler ainsi d’une langue. Mais, contradictoirement à ce qui est communément avancé par les partisans de la Charte des langues régionales – c’est Jack Lang qui reprend le poncif du devoir de réparation ! –, la langue française a été acceptée et revendiquée par les Bretons.
Jean-Marie Déguignet dans ses Mémoires d’un paysan bas-breton, décrit bien la situation qu’il a connue à la charnière du XIXème et du XXème siècles. Il s’élève vigoureusement contre les obstacles placés par les classes dominantes de l’époque, à l’apprentissage du français par les gens du peuple.
Il dénonce cette pratique comme une volonté de maintenir en état de soumission les populations qui ne peuvent ainsi accéder à la maîtrise du français pour mieux se défendre. En cette période d’exode rural et de développement industriel, la connaissance du français valorise la force de travail et est un levier pour l’émancipation. [ Déguignet page 411 ] « Mais ces régionalistes,….travaillent (…) à parquer les exploités en s’efforçant, en recommandant à leurs sous-ordres, petits curés et petits maîtres d’écoles, de maintenir parmi les enfants, petits et grands, la langue et les vieilles mœurs bretonnes. Car ces coquins savent bien que tant qu’on tiendra les Bretons dans ces mœurs sauvages, et tant- qu’ils ne pourront lire que des livres bretons qui ne sont tous que des libres religieux, ceux-ci resteront dans l’abrutissement, dans l’avachissement et dans l’imbécillité, c’est-à-dire dans les meilleures conditions possibles pour être exploités sur toutes les coutures »
Ce que confirme Françoise Morvan : « Les bourgeois avaient abandonné le breton depuis deux générations au moins ; depuis bien longtemps dans aucune famille urbaine instruite on ne s’adressait plus aux enfants dans cette langue. Ceux qui, autour de nous, avaient le breton pour langue d’usage prenaient grand soin de ne nous parler qu’en français, quitte à se traduire difficilement. Je ne vois autour de moi aucun exemple d’enfant qui ait eu la moindre velléité de se mêler de parler une langue si universellement abandonnée. » [Le monde comme si]
La résistance de la population à cette pratique dénoncée par Déguignet était bien réelle. Jakez Hélias fait dire à son Cheval d’orgueil :
[Le cheval d’orgueil. Mémoires d’un Breton du
pays bigouden. Plon ; p.192]
« Avec
le breton seulement, on est attaché de court comme la vache à son pieu. Il
faut toujours brouter autour de la longe. Et l’herbe du pré n’est jamais
longue ».
Résumant le sentiment général P-J Hélias
écrit : « Avec le français on peut aller partout
. »
Et
il place avec quelque malice dans la bouche du grand-père cette réplique
sans appel :
« D’ailleurs,
dit grand-père, quand vous irez voir votre oncle Corentin à Paris, boulevard
Voltaire, vous n’entendrez que du français. »
Les promoteurs de Diwan, ainsi que Jack Lang peuvent bien parler de « devoir de réparation » dont la France serait redevable, cette assertion ne résiste pas à l’examen des faits.
Fanch Broudig,
journaliste honnête, spécialiste du breton et à ce titre responsable des
émissions en langue bretonne à FR3 Bretagne, bien qu’acquis à la langue bretonne et à l’idée de son
développement, fait litière de cette volonté de culpabiliser l’État. [Fanch Broudig : Qui parle breton aujourd’hui ? Qui le parlera demain ? Editions Brud Nevez p.67]
« Les années décisives (…) se situent aux lendemains de la dernière guerre. C’est à ce moment-là que les familles font massivement le choix d’élever leurs enfants en français. L’enquête effectuée
au cours de l’été 1946 par les séminaristes finistériens est très explicite
à ce sujet. Bien que le breton soit toujours à ce moment d’un usage général,
en zone rurale en tout cas, les familles – et donc les jeunes mères de
famille – choisissent de plus en plus souvent le français pour l’éducation
de leurs enfants.
Ainsi, à Plounevez-Lochrist, l’on
considère que " ce sont les jeunes filles surtout qui veulent saboter le
breton ". A Guipavas, " il est très mal noté de s’adresser en breton aux
enfants ". A Plozevet, " il devient de mode » de les élever en français ". A
Saint-Pol-de-Léon, " c’est le grand chic " et de surcroît, " beaucoup
considèrent comme nulle l’utilité économique du breton ". Les opinions
négatives tendent donc alors à l’emporter. » On relèvera au passage les
appréciations des séminaristes-enquêteurs : « il devient de mode »,
« c’est le grand chic », « saboter le breton », toutes
indications de leur dépit qui renvoient à Déguignet et renforcent d’autant
son appréciation…cinquante ans après ses propres observations.
Ce qui notons-le donne une indication de la falsification historique opérée par les promoteurs à tous crins du monolinguisme breton. Mais tous les sociologues et démographes ont aussi analysé que ce sont les jeunes femmes qui, avant les hommes, ont d’abord voulu se soustraire aux conditions d’existences qui prévalaient dans les campagnes.
Sur ce chapitre de la falsification historique, Fanch Broudig
relève que Per Denez, Président du Comité scientifique de l’Institut
Culturel, écrit dans un récent numéro de la revue « Pays de Bretagne » que :
[http://perso.wanadoo.fr/fanch.broudic/pajennou/archivinfos.debats.html]
« En
1789, sur la place du Parlement de Rennes, un monceau de livres et
d’archives sont brûlés sous la protection des soldats de la Révolution ».
F. Broudig note aussi que Didier Houeix, autre
spécialiste de la culture bretonne, n’hésite pas à écrire, dans l’éditorial
de cette même revue que la Convention nationale procéda aussi, « place
du Parlement à Rennes, à un grand feu de joie »
avec les livres écrits en breton.
Que dans un même revue, ces spécialistes
« es
histoire bretonne » donnent deux dates différentes pour un même
événement, pose déjà problème. S’il s’agit de deux événements distincts,
l’un en 1789, l’autre en 1793, au moins un des deux n’aurait pas échappé à
la sagacité des historiens honnêtes. En tout état de cause il aurait été de
bonne guerre que les ouvrages les plus récents des historiens par ailleurs
acquis au nationalisme breton les mentionnent.
Hélas ! Fanch Broudig
souligne : « Sauf erreur, à savoir le brûlement de livres
en langue bretonne sur la Place du Parlement à Rennes, en 1789 selon Per
Denez, en 1793 selon Didier Houeix, ne semblent pourtant pas avoir été
relatés jusqu’à présent, même par les historiens spécialistes de la
Révolution. Les livres d’histoire rédigés d’un point de vue pro-breton ne
les mentionnent pas non plus. »
Historien reconnu (Histoire de la vieillesse, La Bretagne des prêtres en Trégor d’Ancien régime, Histoire de l’athéisme, Le Bretons et Dieu : Atlas d’histoire religieuse ; sous sa direction : Les Côtes du Nord de la préhistoire à nos jours , etc…), le Briochin Georges Minois, auteur aussi d’une « Nouvelle Histoire de la Bretagne » (Editions Fayard) me confirme n’avoir jamais eu connaissance des événements rapportés par Denez et Houeix. A tout le moins demande-t-il que ces affirmations renvoient à des sources vérifiables !
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