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La fidélité aux origines du régionalisme breton
Avant d’en terminer sur ce point on peut rappeler ceci, qui nous ramène à nos préoccupations actuelles.
Déguignet s’en prend vigoureusement à l’Union Régionaliste Bretonne
dont il relève la coloration conservatrice de ses membres, notamment d’Anatole
Le Braz qui, lui, avait pourtant accédé à la parfaite maîtrise du
français dans le lycée de Saint-Brieuc dont le hall d’entrée de
l’établissement auquel il a donné son nom possède, gravée sur le mur, une
inscription dans laquelle l’écrivain fait l’éloge du français et des
humanités grecques et romaines auxquelles il a eu accès :
« C’est dans les murs de ce lycée que j’ai appris à communier avec l’esprit latin et le génie grec. J’y arrivai petit barbare. J’en sortis avec un commencement de culture et l’appétit de la culture complète. (…) J’y ai fait connaissance avec les maîtres de toute pensée et de tout art. Ici la Grèce et Rome m’ont été révélées. Ici les lettres françaises. » Les
positions nationalistes des dirigeants de l’URB sont connues, telles celles
stigmatisées par Déguignet, du marquis Régis de l’Estourbeillon,
député de Vannes, antisémite, antidreyfusard et adversaire déclaré du
mouvement socialiste naissant. Les éditions An Here sont éditrices depuis l’année 2000, des Mémoires d’un Paysan Bas-Breton de Jean-Marie Déguignet 1834-1905, déjà vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Sous le fallacieux
prétexte d’éclairer le lecteur, comme s’il n’était pas capable de juger par
lui-même, les éditions An Here ont cru bon d’assortir les éditions
postérieures d’un avertissement sous la forme d’une mise en garde au
lecteur : un encadré « Déguignet et la langue bretonne ». On
trouvera ci-dessous cet encadré recopié d’une édition de mai 2001 (qui ne
figure donc pas dans l’édition de février 2000). Sous la référence d’un pseudo diagnostic médical, qui plus est bien tardif, n’est-ce pas trahir la raison même d’écrire de l’écrivain Jean-Marie Déguignet ? Rappelons ce que la presse, notamment le Canard Enchaîné dans son numéro du 26 avril 2000, a révélé de la nature des éditions An Here. Celles-ci ont en effet publié un volumineux dictionnaire breton « Geriadur ar brezhonec », largement diffusé dans les milieux régionalistes et en usage dans les écoles Diwan, dans lequel on relève quelques perles comme celles-ci reproduites de l’hebdomadaire : - Page 122, le verbe « être » (exister) est illustré ainsi : « La Bretagne n’existera pleinement que lorsque le français sera détruit en Bretagne ». Ce message clair est suivi d’une affirmation tout aussi définitive : « Dieu existe ». Deux pétitions de principe — c’est moi qui commente — qui renvoient comme on le sait au mouvement « Feiz ha Breiz, Foi et Bretagne » de l’Abbé Perrot.
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Page 254, le mot « libération » appelle cette
seule illustration : « Nous commençons le combat pour la libération de
notre pays ». - Page 282 à propos du mot « libre » : « Lutter pour la Bretagne libre »
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Page 384 : Pour bien assimiler le sens de l’adverbe
« entre », un seul credo : « Il vous faut
choisir entre la Bretagne et la France ».
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Page 434, une image simple pour parler des Français :
« Lutter contre les Français ». Nous voilà ainsi édifiés sur le fond de commerce des éditeurs de Jean-Marie Déguignet.
N’en doutons pas, la mise en garde en question, n’est pas dictée par une
contestation des observations de Déguignet quant aux « difficultés
d’intercompréhension » des locuteurs bretons. Ces difficultés pour un
Rostrenois de comprendre un Trégorrois ou un Vannetais sont tellement vraies
qu'elles sont le fondement logique du breton unifié ! Les choses n’avaient
pas de ce point de vue beaucoup changé depuis l’Abbé Grégoire.
Aujourd’hui même il est notoire qu’un bretonnant de souche est incapable de
comprendre le breton synthétique. Raymond Jaffrezou, dont la langue
maternelle on le sait, était le breton,
ce breton
de Paule
que j’ai moi-même appris, atteste cette vérité première que je ne puis que
confirmer également : : « …je suis incapable de suivre une
conversation en breton de FR3 que je qualifie de breton de séminaire, parce
qu’il me rappelle celui des prêches des recteurs, que je ne saisissais pas
davantage ». p.616
Maurice Le Lannou,
que nous connaissons, et qui n’était nullement hostile au breton, évoque
avec une pointe d’ironie les discussions qui naissaient entre son père et sa
mère à propos précisément du breton que l’un et l’autre pratiquaient
quotidiennement entre eux : « …les échanges les plus nourris portaient sur les différences qui se marquaient entre leurs parlers d’origine, mon père pratiquant dans une grande pureté le trégorrois du pays de Lannion, ma mère n’arrivant pas à se défaire de tournures et d’accents caractéristiques de ce Goello [secteur de Binic-Plouha-Paimpol . ndlr], trop voisin de la frontière d’un canton gallo [patois apparenté au français en usage en Haute Bretagne, à l’est d’une ligne Binic-Vannes ndlr]. » p. 86. La querelle des Editions An Here est donc ailleurs et répond à d’autres préoccupations que linguistiques : elle a pour objectif de contrecarrer, de combattre, de dénigrer les appréciations et les analyses que Déguignet a d’une manière singulièrement lucide portées sur les mouvements régionalistes de son époque et sur leurs prétentions à maintenir les classes populaires dans l’usage exclusif de la langue bretonne pour que perdure ainsi leur asservissement. Mais il se trouve, preuve s’il en était de sa clairvoyance et de la prémonition de l’accueil qu’on ferait à ses écrits, que Jean-Marie Déguignet a précisément prévu le sort qu’on tenterait d’imposer à son « Histoire de ma vie ».
Bien joué, Jean-Marie Déguignet toi qui n’avais qu’un désir : « dire franchement des franches vérités » et qui l’a si excellemment dit. Que résonne encore à nos oreilles cette appréciation sans appel qui te vaut aujourd’hui la rancœur des Roparzhémoniens de tout poil :
« C’est bien cela, messieurs les
régionalistes monarcho-jésuitico-cléricafardo bretons. Votre but était de renfermer les pauvres Bretons dans leurs vieilles traditions sauvages (…) afin que vous puissiez toujours (…) bien les exploiter en leur tirant le plus de suc possible ». A un siècle de distance, ton boomerang d’aborigène armoricain revient en pleine figure des continuateurs et héritiers des régionalistes qui t’ont fait tant souffrir de ton vivant. Et leur misérable mise en garde est un aveu de ton impact sur les lecteurs et de la juste appréciation qu’ils portent sur ton « Histoire de ma vie ». Comme quoi, en définitive justice t’est rendue. Bien joué, brave soldat Jean-Marie Déguignet ! Et cela va finir par nous faire croire, ainsi qu’à toi qui n’y croyais pas non plus, qu’il y a bien un bon dieu quelque part. Mais direz-vous, le nationalisme breton, ce n’est pas Diwan. Sans doute. Chacun son rôle, mais on ne peut appréhender les fondements
idéologiques de Diwan sans se pencher sur ce passé de l’histoire bretonne.
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